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Le dernier mot de la Présidente de la Fondation

Pour une rentrée… et une sortie.

Mon mandat de Présidente de la Fondation se terminant très prochainement, je vous adresse ces quelques mots de message pour la dernière fois. Je voudrais souhaiter à la communauté universitaire tous mes vœux de longue vie sur le chemin du savoir.

De maintes aventures intellectuelles me sont arrivées, mais je veux vous faire part de l’une d’entre elles, sans doute la plus inattendue, la plus surprenante. Pendant que je présidais l’Université Paris 8– Vincennes, un immense philosophe – Gilles Deleuze- y enseignait et j’eus la curiosité d’assister à quelques-uns de ses cours. J’en ai gardé un souvenir inoubliable, qui m’a confirmée dans ma conviction que ce qui compte dans un cours, c’est l’oreille, l’écoute d’une voix rassurante, obligeante, délicate, charmeuse, hospitalière, qui vous rassure, mais vous interroge et vous bouscule à la fois.

Un cours de Gilles Deleuze, c’est quelque part une enquête commune. L’univers sonore d’un cours de ce grand philosophe est fait d’incantations conceptuelles émises dans le plus grand silence, devant un auditoire disparate et mélangé. C’est une polyphonie, à la fois généreuse, tendre et sauvage, dominatrice, faite de cris véhéments, qui suscitait parfois la peur devant cette pensée sidérante, qui ne reculait ni devant une certaine désinvolture, ni devant l’irascibilité.

Cette création orale de concepts, faite avec jubilation, était admirable, pleine de gaieté devant ce « roman policier supérieur » qu’était pour lui la philosophie. Ses cours disaient le pourquoi de la philosophie. Auditrice subjuguée par sa voix, j’écoutais, en témoin médusé, se créer devant moi une philosophie par l’un des plus importants philosophe de notre époque. A voix haute, d’un ton courtois et prévenant, il captivait un public ébloui par ce défilé de personnages conceptuels : le gisant, le penseur ou l’espiègle. Au-delà de la faible puissance des cordes vocales ( je pense notamment aux cours de Wladimir Jankélévitch), les cours des philosophes sont des cris qui dépassent la spécialisation disciplinaire. Par une « vocalisation de pensée » ( Claude Jaeglé), les cours étaient des affects, des désirs, des coups de cœur ; la ferveur était toujours présente.

« Une voix parle de quelque chose. En même temps, on nous fait voir autre chose. Et enfin ce dont on nous parle est sous ce qu’on nous fait voir. » Gilles Deleuze

Assister à la naissance orale de cette pensée insurrectionnelle, agressive, impitoyable, qui crée, à travers la panique, des déphasages intellectuels, des lignes de fuite, c’est comprendre que l’exercice professoral, c’est avant tout la parole.

Francine Demichel

ANTEA GALLET | Mise à jour le 10/09/2019