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La chloroquine contre le Covid-19 : oui, le Pr Raoult nous a convaincus

Dans une tribune parue hier sur "Le Figaro", l'ancien directeur scientifique de l’Institut national du cancer, l’ancien président de la Haute Autorité de santé et l’ancien directeur général de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé* recommandent d’appliquer le traitement élaboré par le Pr Didier Raoult dès l’apparition des premiers symptômes du coronavirus.

 

 

Une controverse passionnée s’est développée en France et dans le monde sur l’utilisation d’un traitement médical précoce du Covid-19, associant hydroxychloroquine et azithromicyne, suivant les travaux du Pr Didier Raoult.

Scientifiques et médecins s’affrontent à la fois sur la réalité de la diminution précoce de la charge virale qui préviendrait les complications les plus graves mais surtout sur l’absence de démonstration du bénéfice dans un essai « randomisé » (qui applique les règles ayant pour but d’évaluer l’efficacité d’un traitement, notamment le recours au tirage au sort, pour déterminer quels patients feront partie du groupe qui va essayer le traitement, NDLR). L’essai européen en cours risque de ne pas répondre au concept du traitement précoce, puisque les médicaments ne seront utilisables que dans les cas graves, soit plus de sept jours après les premiers signes cliniques d’infection. Dans son approche, Didier Raoult propose de traiter dès les premiers signes d’infection documentée pour prévenir cette évolution.

Le débat médical posé, nous souhaitons apporter notre perception à la controverse : nous avons tous trois été cliniciens ou pharmacologues, et investigateurs d’essais cliniques « randomisés », et deux d’entre nous ont dirigé ou présidé l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) et la Haute Autorité de santé (HAS). Ce texte n’est qu’une opinion engagée, que nous voulons contributive à la discussion. Nous savons que les « experts » ont déjà montré qu’ils peuvent se tromper ; la réflexion médicale se doit cependant d’être partagée pour éclairer une décision qui au final sera issue du dialogue médecin-patient.

La chloroquine (CQ) et l’hydroxy­chloro­quine (HCQ) sont de vieux médicaments, utilisés depuis maintenant soixante ans dans le traitement du paludisme puis le traitement de maladies auto-immunes comme le lupus érythémateux disséminé ou la polyarthrite rhumatoïde, à la dose de 400 mg par jour. Leurs effets secondaires en respectant les contre-indications sont connus et limités. Ils sont observés en cas de surdosage, de traitement prolongé et d’interactions avec d’autres médicaments. Parmi ces effets : des rétinites et des cardiomyopathies qui justifient une surveillance régulière. En dehors de leur action anti-inflammatoire, ces molécules ont une activité antivirale et il a été montré que, dans les conditions de laboratoire, elles bloquent la prolifération du coronavirus (Cell Discovery - 2020- 6:16).

Ces observations de laboratoire ne préjugent pas de leur effet chez l’homme. L’essai clinique du professeur Raoult publié il y a quinze jours montrait chez un nombre limité de patients que la charge virale diminuait de façon rapide après le début d’un traitement par HCQ, surtout en combinaison avec un antibiotique, l’azithromycine, une molécule largement utilisée dans les pneumopathies. Des travaux récents en Chine ont montré un bénéfice clinique dans l’évolution des patients traités dans une étude « randomisée » conduite chez 62 patients ayant des lésions pulmonaires ne nécessitant pas de recours à la réanimation. Même si d’autres études sont moins concluantes, une conférence de consensus chinoise a émis en mars un avis positif sur l’utilisation de la chloroquine.

La communauté scientifique française et internationale s’est émue que la conception des essais du Pr  Raoult ne corresponde pas aux critères classiques de la médecine moderne basée sur les preuves, puisque cette étude n’était pas strictement comparative. Cependant, devant ces premiers résultats « encourageants », et en l’absence de toute autre possibilité dans une crise sanitaire sans précédent depuis un siècle, les autorités françaises ont autorisé l’utilisation de ce traitement chez des malades hospitalisés, donc essentiellement dans les formes graves. La Food and Drug Administration américaine vient de suivre cet exemple pour les patients hospitalisés qui ne participent pas à un essai clinique.

Cependant, l’équipe de Didier Raoult dans une nouvelle étude d’une cohorte de 80 patients traités au diagnostic rapporte des disparitions rapides de la charge virale chez 78 d’entre eux, un patient étant décédé et un autre dans un état grave, âgés respectivement de 86 et 74 ans. En l’absence de « randomisation », cette nouvelle étude ne permet pas non plus de conclure définitivement sur l’amélioration du pronostic par rapport à un traitement symptomatique.

Toutefois, plusieurs aspects nous semblent mériter d’être soulignés. Avant tout, dans toutes les maladies virales qui entraînent des détresses respiratoires, la persistance du virus devient peu importante dans l’évolution de la détresse respiratoire lorsque la barrière pulmonaire est atteinte, en raison de complications inflammatoires majeures. À ce stade, seule la réanimation permet de passer le cap de la reconstitution des tissus lésés. Le point fort des essais du Pr Raoult est, de notre point de vue, une diminution très rapide de la charge virale avec négativation des recherches virologiques dans plus de 90 % des cas en moins de huit jours, ce qui pourrait permettre d’éviter l’aggravation et en particulier le transfert en réanimation.

Sur cette base, la stratégie serait plutôt donc de proposer un traitement précoce avant la survenue de complications respiratoires sévères. En effet, à l’inverse, d’autres travaux montrent qu’en l’absence de traitement spécifique le virus persiste chez au moins la moitié des patients huit jours après la fin des symptômes. De fait, la diminution de la durée du portage viral suggérée par les travaux du Pr Raoult peut permettre d’espérer une diminution de la période de contagiosité et pourrait donc, avec le confinement, participer à l’éradication de l’épidémie.

Enfin, les cohortes marseillaises rapportées ne montrent pas à l’évidence de survenue d’effets secondaires majeurs liés au traitement, lorsque les règles de prescription et contre-indications sont respectées, après un électrocardiogramme (ECG) et dosage du potassium, ce qui faisait partie des réserves de beaucoup de cliniciens.

En l’absence d’autre traitement disponible avéré efficace à ce jour (plus de deux cents essais thérapeutiques enregistrés dans le monde), nous pensons légitime, au vu des résultats préliminaires, de mettre en place une nouvelle stratégie avec, avant tout, un accès élargi aux tests diagnostiques des patients suspects parce que symptomatiques ou ayant été au contact d’un patient infecté.

Le deuxième maillon de la chaîne de soins serait la mise en place de structures de soins associant les personnels hospitaliers et la médecine de ville pour effectuer le diagnostic, la prescription et la surveillance d’hydroxychloroquine et d’azithromycine chez tous les malades positifs non inclus dans un essai clinique : il est nécessaire d’initier une prise en charge rationalisée et non pas à l’aveugle, en fonction de l’état physiologique, et de respecter d’éventuelles contre-indications à l’addition de l’azithromycine, en particulier chez les patients polymédicamentés. Cette prescription pourrait être réalisée, en l’absence de contre-indication et avec l’accord du patient, dès le diagnostic confirmé, pendant une durée limitée, et accompagnée de la collecte de données simplifiées.

De simples modifications des conditions de prescription et de délivrance peuvent rapidement le permettre. Lors de l’arrivée annoncée de tests en plus grand nombre, la surveillance virologique des patients pourra être mieux documentée pendant et à l’arrêt du traitement.

Les patients, légitimement, ne tolèrent pas que le diagnostic sur leur état de santé soit simplement présumé et qu’il leur soit alors seulement recommandé de rester chez eux avec la crainte de complications, alors même qu’une option thérapeutique simple, sous surveillance médicale, peu onéreuse et possiblement efficace pourrait leur être proposée. Une proposition de soins élargie doit être avancée alors que les services de réanimation sont surchargés et que des tensions sont présentes sur les approvisionnements en médicaments et appareils qui leur sont indispensables. L’accès à l’hydroxychloroquine limité aux seuls malades hospitalisés marque aussi une inégalité dans l’accès aux soins. Le choix de la précaution est aussi un pari politique.

 

* Respectivement professeur émérite de pharmacologie à l’université de Paris-Diderot, ancien professeur d’hématologie à l’université de Nantes et professeur émérite de cancérologie à Aix-Marseille Université.

FABIEN CALVO, JEAN-LUC HAROUSSEAU ET DOMINIQUE MARANINCHI

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JULIEN ANGELINI | Mise à jour le 08/04/2020
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